Les didactiques « rares » en Suisse romande. La sociologie, les langues et cultures de l’Antiquité, l’histoire de l’art comme symptômes de nouvelles épistémologies et conceptions scientifiques.
Chair(s): Raphaël Brunner (Haute école pédagogique Valais)
Diskutant:in(nen): Antje Kolde (Haute école pédagogique Vaud), Catherine Fidanza (Haute école pédagogique Berne-Jura-Neuchâtel), Stefano Losa (Haute école pédagogique Berne-Jura-Neuchâtel)
Les carrefours que constituent les didactiques disciplinaires sont riches en embranchements. Certaines des voies entrantes portent évidemment le nom des disciplines académiques de référence, souvent multiples ; d’autres, ceux de sciences sociales et de communication, autant de disciplines d’appui. Parmi les voies sortantes, plusieurs sont nommées d’après les compétences transversales. Ceux et celles qui entrent dans ces carrefours et en sortent sont autant les apprenant·e·s que les formateurs-chercheurs et formatrices-chercheures, chacun·e riche de son univers référentiel et de son histoire. Les carrefours, dynamisant leurs interactions, métamorphosent in fine leurs connaissances et savoirs.
Quel est dès lors le balisage qui, dans les carrefours, jalonne les itinéraires qu’empruntent les acteur·trice·s, comment est-il conçu, quelles sont ses caractéristiques ? Et existe-t-il des critères scientifiques et des fondements épistémologiques pour le définir et étayer la métaphore de carrefours avec des croisements, avec des étagements de disciplines et des voies ouvertes à la circulation des savoirs et des usager·ère·s ? Voilà les questions auxquelles réfléchissent conjointement les membres de ce symposium, qui collaborent au sein des didactiques romandes (DidRo : UniGe, HEP romandes).
D’une manière générale, le cadre scientifique apparaît comme centré moins sur des conceptions disciplinaires et davantage sur la circulation des objets qui définit justement ce qu’il faut entendre par « médiation », « didactisation ». Ainsi, aux voies entrantes constituées par les disciplines académiques s’ajoutent celles que composent les objets extrêmement divers desdites disciplines, alors que les voies sortantes tiennent aussi de la manière dont une société s’interroge sur ses propres savoirs et sur ce qu’elle est (enseignement de la sociologie), sur les manières dont ils se sont construits et sur l’épaisseur culturelle des langues (enseignement des langues et cultures anciennes), sur les manières dont l’art et les cultures se représentent le monde (enseignement de l’histoire de l’art et des arts).
Beiträge des Symposiums
Vers quelle sociologie à l’école ? L’équilibre des tensions entre savoirs disciplinaires, plans d’études et agir enseignant au secondaire II
Stefano Losa Haute école pédagogique Berne-Jura-Neuchâtel
Contrairement à la France, où la sociologie au secondaire supérieur est présente depuis plusieurs décennies à l’intérieur des modules de Sciences économiques et sociales destinées aux lycéen·ne·s et fait l’objet de recherches spécifiques (Beitone et al. 2013), en Suisse, il existe très peu de références établies sur ce que pourrait être une « sociologie scolaire » pour ce niveau.
L’introduction récente (2022-2023) en Suisse romande d’un cours de Didactique de la sociologie destiné aux enseignant·e·s et futur·e·s enseignant·e·s du secondaire au niveau romand (Didactiques romandes) représente une opportunité privilégiée pour s’interroger sur ce qui est susceptible de constituer une « sociologie scolaire ». Cette contribution vise à mettre en évidence les différents champs de tensions qui traversent la mise en place des enseignements de sociologie au secondaire II (écoles de maturité professionnelle et écoles de culture générale) et le probable travail de médiation que les enseignant·e·s et futur·e·s enseignant·e·s doivent produire entre finalités des enseignements, contenus sociologiques traités et déclinés en fonction des domaines professionnels (santé, travail social, communication et information, arts visuels, musique, économie), approches théoriques mobilisées, exemples et cas d’étude utilisés, modalités pédagogiques et didactiques assumées, compétences disciplinaires (en sociologie) et transversales à développer, contraintes objectives et difficultés perçues.
De même, la sociologie et la didactique entretiennent un lien de complémentarité (Souto Lopez et Dehantschutter 2020 ; Losego 2016) : dans quelle mesure ce lien est-il mis à contribution dans et pour l'enseignement de la sociologie ? En somme, si la sociologie scolaire semble se situer quelque part entre le curriculum formel (essentiellement fondé sur les plans d’études) et le curriculum réel (Perrenoud 1998), ce qui est réellement enseigné en classe, comment les autres disciplines scolaires – notamment en sciences sociales et humaines – se prennent-elles pour se légitimer et se reproduire ? Comment le regard didactique peut-il contribuer au travail de médiation entre ces divers champs de tension ? Finalement, comment former à une didactique de la sociologie ? Et comment s’y prennent les didactiques voisines ? Telles sont quelques-unes des questions qui seront problématisées au cours de cette communication.
S’engager dans le carrefour des langues anciennes
Antje Kolde1, Catherine Fidanza2 1Haute école pédagogique Vaud, 2Haute école pédagogique Berne-Jura-Neuchâtel
La didactique des langues et cultures anciennes (grec et/ou latin) porte le carrefour dans son nom. Nombreuses sont les voies qui y mènent : langues et littératures grecques ou latines, bien sûr, mais aussi archéologie, histoire ancienne, linguistique historique, histoire des religions, anthropologie historique, pour ne citer qu’elles. Ces disciplines de référence reposent sur des textes et sur toute une série d’autres témoignages matériels des divers domaines de la vie. Si l’apprentissage de la langue permettant la traduction des sources textuelles a de tout temps été la voie principale de l’enseignement des langues anciennes, ce n’est que depuis quelque temps que l’on en élargit d’autres, liées au terme « cultures ». Aussi notre contribution se propose-t-elle de s’interroger sur les points suivants : comment amener des élèves du début du XXIème siècle à s’intéresser à des témoignages textuels ou matériels d’une culture chronologiquement distante ? Comment procéder à la médiation de ces sources ? À quelle médiation recourir ? Quelles connaissances déclaratives, procédurales et conditionnelles leur faire acquérir et comment, afin qu’ils soient capables de décoder ces témoignages, de les comprendre en tenant compte du contexte de création des objets (textuels ou autres) et de se les approprier cognitivement et émotionnellement dans leur propre contexte, tout en étant conscients de l’épaisseur historique dudit objet ? Pour trouver des réponses, il convient sans doute de parcourir les diverses voies énoncées, mais également celles que proposent d’autres disciplines, comme les neurosciences, et d’autres didactiques, dont celles des langues vivantes ou de la littérature. Ces réflexions seront illustrées par la description et l’analyse de deux expériences visant à faire adopter une posture herméneutique par les élèves. L’une a été menée avec des élèves de latin et de grec au secondaire 1 (13-14 ans) et secondaire 2 (16-17 ans), sur la base de sources textuelles et iconiques ; la seconde, plus modeste, a été testée sous diverses formes depuis plusieurs années avec des élèves de latin du secondaire 2 (16-17 ans) ; à l’issue des deux projets, les élèves ont créé des textes témoignant des connaissances et des compétences acquises. L’examen du matériel et des planifications des enseignantes-chercheures comme des productions des élèves permettra finalement de définir quelques caractéristiques d’un balisage de médiation.
Aux carrefours des représentations. Pour une histoire de l’art adossée à des questions socialement vives.
Raphaël Brunner, Anne Woodford Haute école pédagogique Valais
S’il est une discipline d’enseignement particulièrement ébranlée ou enrichie par les questions socialement vives, c’est bien l’histoire de l’art. Il n’est pas de cours qui ne voient apparaître des sujets sensibles portant sur la manière dont notre société se représente le monde, avec son cortège de représentations qui gagnent à être interrogées au regard dont d’autres époques et d’autres sensibilités élaborent leurs représentations. L’art témoigne à la fois de la manière dont les sociétés se représentent le monde et la manière dont est à l’œuvre un en-deçà de la représentation, avant même toute cristallisation culturelle.
La discipline académique manifeste également semblables infléchissements, modifie ses corpus continuellement et de plus en plus, que ce soit par élargissement, par actualisation ou par élimination. Des conceptions traditionnelles de l’art et de son histoire, aux visual studies, en passant par l’histoire des arts enseignée en France ou par l’anthropologie des images, le champ d’investigation suppose aujourd’hui un élargissement considérable des conceptions tout en évitant leur dispersion.
Pour se référer au cadre général du colloque et du symposium, il s’agit pour les deux intervenant·e·s d’apprécier la manière dont les voies empruntées dans les carrefours sont déterminées par des médiations entre les savoirs et au regard des pratiques. Cela prend la forme de voies multiples se croisant ou se superposant, d’une circulation des savoirs qui produit elle-même des savoirs dont la portée éducationnelle apparaît renouvelée et renforcée.
D’une manière générale, il est tout à fait possible, d’un point de vue épistémologique, de considérer que la didactique elle-même, et d’une manière très vive dans le cadre des enseignements des arts et de leur histoire, est un vecteur d’évolution des disciplines académiques, qui auraient sous-estimé la manière dont les médiations entre savoirs savants, pratiques sociales de référence et questions socialement vives sont au cœur de la constitution des savoirs. Dans le cadre des enseignements, il y va en d’une transposition didactique « adossée » à des questions contemporaines qui donnent aux croisements de savoirs et de pratiques un caractère scientifique élargi.
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