Une didactique spécifique pour les premiers degrés de la scolarité?
Chair(s): Anne Clerc-Georgy (Haute Ecole Pédagogique du canton de Vaud, Suisse)
Diskutant:in(nen): Sylvie Richard (HEP VS), Sylvie Richard (HEPVS), Sylvie Richard (HEPVS)
La prise en compte des spécificités de l’apprentissage dans les premiers degrés de la scolarité nécessite à la fois d’identifier les savoirs réellement fondateurs de la scolarité (apprentissages fondamentaux) et à la fois les modalités d’enseignement de ces savoirs (Clerc-Georgy & Duval; 2020). D’une part, à cet âge, l’enfant n’est pas encore capable de suivre un programme commun, imposé et au même rythme que ses camarades (Vygotsky, 1935, et d’autre part, les savoirs à apprendre ne sont pas encore inscrits dans les disciplines scolaires (catégoriser, énumérer, structurer le temps, symboliser…). A ceci s’ajoute le fait que le jeu de faire semblant semble être l’activité la plus susceptible de générer les gains développementaux propres à cet âge (agir en pensée, imaginer, s’autoréguler, abstraire…) et que cette activité favorise la possibilité pour les enfants de s’approprier le sens des savoirs à apprendre (Clerc-Georgy, 2021). Dans cette perspective, il devient nécessaire de penser une didactique spécifique pour ces degrés, une didactique qui favorise l’entrée dans les disciplines scolaires et l’appropriation des outils requis par l’école (présentation 1). Il s’agit aussi, et surtout, de construire une troisième voie entre une approche développementale, qui fait une place importante à l’expression et au développement naturel de l’enfant, et une approche primarisante, qui imite les modalités de travail propre au primaire (présentation 3). Enfin, il s’agit d’identifier et de décrire les gestes professionnels à mettre en œuvre pour une telle didactique (présentation 2). Ce symposium sera l’occasion de présenter différents modèles didactiques qui favorisent notamment la dialectique entre jeu et curriculum (par ex, Fleer, 2021; Pramling & al., 2019) et qui, surtout prennent au sérieux les jeunes élèves (Hedegaard & Edwards, 2023).
Beiträge des Symposiums
Construction d’une didactique des apprentissages fondamentaux : avec et en soutien de l’entrée dans les disciplines scolaires
Anne Clerc-Georgy, Isabelle Truffer Moreau HEP-VD
A la suite des changements provoqués, à la fois par HarmoS (obligation de fréquenter l’école dès quatre ans) et le nouveau plan d’étude romand qui, au travers de son découpage en domaines disciplinaires, ignore les spécificités des premiers degrés de la scolarité, des formes de travail propres à l’enseignement primaire ont été observées (Gilliéron Giroud, Meyer, & Veuthey, 2013, 2014, Clerc-Georgy & Duval; 2020 . En effet, comme dans d’autres pays, ces nouvelles prescriptions ont conduit plusieurs cantons romands à proposer, dès 4 ans, un enseignement par disciplines, par le biais notamment des nouveaux moyens d’enseignement, au même rythme pour tous les élèves, et accompagné d’évaluations sommatives. Dans la foulée, on a pu observer une diminution significative de la place du jeu en classe associée à une augmentation alarmante des signalements d’enfants considérés de plus en plus tôt comme nécessitant une attention particulière (Dutrevis & al., 2022).
C’est dans ce contexte qu’est né le GIRAF (Groupe d’Intervention et de Recherche sur les Apprentissages Fondamentaux). L’objet de nos recherche est la construction d’une didactique des apprentissages fondamentaux qui d’une part tente d’identifier les apprentissages fondateurs de l’entrée dans la scolarité et d’autre part prend en compte le fait que le jeu est l’activité directrice du développement dans les premiers degrés de la scolarité, c’est-à-dire l’activité la plus propice à générer les gains développementaux propres à cet âge, comme la capacité à penser l’action, la gestion émotionnelle, l’imagination, l’abstraction ou l’autorégulation (Vygotskij, 1933/2023, Clerc-Georgy & Martin, 2023).
Cette nouvelle didactique travaille pour et avec les savoirs des disciplines, mais en prenant en compte les spécificités de l’apprentissage dans les premiers degrés de la scolarité (jeu, activités initiées par les enfants, curriculum émergent). Elle privilégie une entrée par les savoirs plutôt que par les disciplines scolaires et propose des modalités d’enseignement qui favorisent l’apprentissage du jeu de faire semblant et son usage dans les apprentissages disciplinaires. Elle s’inspire de nombreux travaux contemporains tels que la play responsive didaktik (Pramling & al. 2019), les situations d’apprentissages issues du jeu (Marinova, 2015), les Conceptual PlayWorlds (Fleer, 2021), Taking Children and Young People Seriously (Hedegaard & Edwards, 2023) ou encore la pédagogie des transitions (Truffer Moreau, 2020).
Se former en tant que didacticienne des APF
Diane Ruchet, Sandrine Bruttin HEPVS
Cette présentation se base sur la perspective croisée de deux recherches ancrées dans le contexte actuel de l’école suisse romande, en tenant compte des choix politico-pédagogiques l’ayant influencé ces dernières années. La focale, dessinée autour des premiers degrés de la scolarité, soit les quatre années du Cycle I, identifie deux « écoles ». La première approche est descendante et disciplinaire portée par HarmoS à travers le Plan d’Etudes Romand (PER) et s’inscrit dans la continuité d’une école traditionnelle. La seconde, plus récente, fonctionne de manière ascendante, tient compte du développement de l’enfant et est pensée comme une progression considérant le jeu de faire semblant comme activité maîtresse (Vygoskij, 1933/2022).
La prise en compte des spécificités de l’apprentissage des jeunes élèves enjoint les enseignant.es à repenser la transposition didactique et à saisir les opportunités d’apprentissage qui apparaissent dans les activités initiées par les enfants pour les relier aux contenus d’enseignement (Clerc-Georgy & Maire Sardi, 2020). Être capable de saisir ces opportunités requiert une bonne connaissance des objets de savoir inscrits dans le plan d’Études (PER) (Clerc-Georgy & Kappeler, 2020 ; Gasteiger, 2012). Cependant, cette identification reste relativement complexe pour les enseignant·es de ces degrés (Anthony, 2015).
Les premiers résultats de Bruttin (2022) montrent que les interventions des enseignant·es dans une situation de jeu à l’initiative de l’élève varient en fonction de la maîtrise des contenus d’apprentissage, qu’il s’agisse de contenus disciplinaires ou d’autres processus plus complexes de l’ordre de l’apprendre à apprendre, de la régulation de comportements ou alors des apprentissages fondamentaux.
Ruchet (2022) observe sensiblement la même dynamique dans le jeu scénarisé par les enseignant.es (Conceptual Playworld). Les positionnements professionnels restent majoritairement externes et plutôt conventionnels, n’offrant que peu d’accès aux savoirs « en jeu ».
Du point de vue de la didactique des apprentissages fondamentaux (Truffer-Moreau, 2020), ces observations suscitent des réflexions d'ordre épistémologique. Sachant que les conclusions de Fleer et al. (2021) mettent en évidence la capacité des enseignants à stimuler leur imagination en tant que faculté psychologique afin de faire évoluer leurs pratiques, comment accompagner les enseignant.es dans leur transition vers des pratiques professionnelles plus novatrices ?
La discussion au terme de cette présentation portera sur les mesures proposées en formation initiale et/ou continue participant à la construction d’une posture d’accompagnement mature chez les enseignant.es du Cycle 1.
L’entrée à l’école et dans les disciplinaires scolaires à travers l’accompagnement du jeu de faire-semblant : Analyse de 5 classes romandes
Myriam Garcia Perez HEPVS + UNILiège
D’après la littérature scientifique, les écoles enfantines de qualité sont à la fois celles équilibrant les activités dirigées par l’enseignant et celles initiées par les enfants, et celles au sein desquelles le curriculum est le point de repère entre les thèmes de jeu investis par les enfants et l’enseignant (Sylva & Nabuco, 1996). Dès lors, les contours d’une troisième voie (Truffer Moreau, 2020), entre approche développementale et primarisante, se dessinent, plaçant les savoirs et le jeu au cœur d’une pédagogie pensée pour accompagner la transition vers l’école avec une entrée graduelle dans les disciplines scolaires. Penser l’entrée progressive à l’école sous l’angle de la continuité pédagogique (Duval & Bouchard, 2013) agirait également comme soutien d’un développement du goût pour l’école (Marinova, 2011, p.65), en permettant aux élèves en devenir tantôt de saisir le sens des apprentissages scolaires à advenir, tantôt de mettre à l’épreuve dans des situations imaginaires ceux déjà réalisés (Clerc-Georgy, 2021, p.66).
Le jeu de faire-semblant (Vygotskij, 1933/2021), faisant la part belle à l’initiative et à l’imagination des enfants et pour lequel le rôle majeur dans le développement cognitif et social des jeunes enfants est démontré et empiriquement reconnu (Fisher, 1992), a pourtant vu sa quantité et qualité se dégrader chez les enfants de notre société occidentale contemporaine (Smirnova & Gudareva, 2015). Par ailleurs, si certains tenants vygotskiens proposent des manières de penser des manières d’investir pédagogiquement ce type de jeu (Garcia Perez, sous presse), sa mobilisation en classe par les enseignants qui s’y essaient est le théâtre de nombreuses tensions avec lesquelles il est complexe de composer (Fleer, 2015).
Cette communication s’appuiera sur des données récoltées en début d’année dans 5 classes romandes de 1-2P dans lesquelles du jeu de faire-semblant est mis en place. Il s’agira, à travers des enregistrements vidéo de moments de jeu et des entretiens menés avec des enseignants, de tenter de mieux saisir l’accompagnement du jeu de faire-semblant en tant que pratique pédagogique de soutien à la première transition scolaire. Les analyses articulent narrations enseignantes et clips vidéo, en faisant recours à l’analyse narrative structurelle des entretiens (Patterson, 2011) ainsi qu’aux trois niveaux d’interprétation d’Hedegaard (2008) pour les vidéos.
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